Un cireur de botte gagne plus qu’un caissier. Qui le croirait?
A l’ère de la révolution du service dans les entreprises, Haiti a encore du mal à se positionner par rapport aux entreprises internationales pour, comme elles, vendre des services avec humeur, bienseillance et empathie.
Tous les Haitiens vont être d’accord avec moi qu’un marchand au « Guerite » vend mieux que n’importe quel vendeur « formé » dans un magasin huppé de Pétion-ville. A l’unanimité, tout le monde admettrait que l’affabilité des petites marchandes sous le soleil au centre ville n’a rien d’égale avec les boudeuses qui sont dans les salles climatisés des supermarchés.
Pour avilir les grands moyens qui refusent de nous servir comme ça droit, je vais parler des cireurs de Bottes. Des hommes qui luttent contre la poussière sous nos cuirs et qui soignent notre image. Car, un homme aux souliers sales est mal vu dans une salle propre. Un homme qui, habituellement porte de la poussière sur ses chaussures, porte aussi le signe de la négligence de la tête au pied. En effet, les cireurs sont des hommes extraordinaires, à voir la qualité de leur service à valeur àjoutée contre si peu: Un adoquin (=10 centimes d’Euro ou 12.5 centimes de dollars).
Mais comment font-ils pour être aussi gentil pour si peu alors que les autres ne le peuvent pas contre beaucoup d’argent?
Je ne pourrais pas l’expliquer mais je cite l’assertion d’un jeune cireur qui ne finit pas de tourner en boucle dans ma tête: »On blague avec nos clients (Sympathy), on prend parfois une minute de plus pour nous rassurer que leurs chaussures soient bien lacées et très propres (SAV, VAS), on les suggère tout ce qu’il faut pour que leurs cuirs durent (ADVISES) et quand ils n’ont pas d’argent, c’est pas un problème pour qu’ils aient nos services, car nous leur faisons confiance (commitment). Souvent quand ils payent, au lieu de 5 gourdes, on a une gratuité qui va au delà de 50 gourdes.( SATISFACTION) »
Au fait, pour ceux qui l’ignorent, sort de ses propos l’essentiel du cours de marketing de service.
Ces braves hommes developpent une stratégie en fidélisant des porteurs de souliers qui, souvent, payent plus que les 5 Gourdes fixées par je ne sais qui. Ils vont plus loin en diversifiant leur porte-feuille d’activités. Ainsi, un cireur est-il aussi vendeur de recharges éléctroniques, cordonnier et même parfois vendeur de « canelle ».
L’expérience gagnée au dessus des bottes; des souliers et même parfois des sandales « font » de ces hommes aux mains noires d’excellents conseillés en médecine traditionnelle. Certains interprêtent des rêves et orientent leurs clients dans le choix des numéros de loto.
Ces hommes, certains plus disciplinés que d’autres, arrivent à éduquer leurs enfants, à réinvestir dans l’agriculture et surtout à acheter les matières premières pour continuer à vendre leurs services. Ils s’assemblent parfois en association pour faire la tontine communément appelée « Sol » ou sabotage*. Ainsi, arrive-t-il à collecter de l’argent que les banques locales ne risqueraient jamais de leur emprunter. Cette somme collectée de ses paires les permet d’honorer des dettes et obligations immédiates.
Au début, j’ai dit qu’un cireur de botte gagne plus qu’un Caissier. Ceci même des caissiers travaillant dans les plus grandes banques du pays. Pourquoi pas? Dans les mauvais jours, un cirreur bien positionné peut nettoyer 25 paires de souliers par jour à 5 gourdes la paire, 5 paires de souliers par jour réparés à 50 gourdes la paire. Je ne comptabilise pas les gratuités ou pourboire de satisfaction.
En imaginant, le faible coût des intrants et un insignifiant ratio de rotation de stocks de matières premières, un cirreur, n’a rien à envier d’une caissière à la banque qui, mensuellement, n’arrivent pas à totaliser 10 mille gourdes (200 euros ou 250 dollars).
C’est pas une vraie honte, mais c’est une bonne leçon pour les « supers » employés de luxe, les grands investisseurs géniaux et nos piètres employeurs exploiteurs.
Johny Augustin Pour Haiti Point Con.Photo Yann LEVY*
Sabotage: ce terme n’a rien à voir avec le terme français d’origine Belge, Sabotage. C’est tout le contraire. C’est une forme de collecte d’argent à cycle de 24 heures entre des collègues sur une base de confiance mutuelle. C’est une forme informel de Libor Rate.