Comment rentabiliser le carnaval?
Le Cap-Haïtien a finalement eu droit à son moment de liesse. Les chars ont défilés, les groupes ont performés, la foule a exulté, des prix ont été décernés, les avis sur la réussite de cette édition ont divergés, le gouvernement s’est donné un satisfecit ; bref, tout a eu l’air de bien se dérouler mais encore une fois, les têtes pensantes sont passés à côté d’un bon nombre de choses.
Pour commencer, pointons le thème du carnaval simplement jeté aux oubliettes. En fait, cela se répète chaque année et le thème ne semble qu’un accessoire choisi de façon désinvolte pour nommer ces festivités. La ville du Cap a accueilli des milliers de personnes dont beaucoup cherchaient des récréations en dehors du carnaval. Certains sont allés en mer, un bon nombre en a profité pour visiter la Citadelle ou le Palais de Sans-Souci et fautes d’attractions supplémentaires, ils ont dû regagner le centre de la ville. Les initiateurs du slogan « Yon Ayisyen, Yon Pyebwa » ont manqué l’occasion de donner au public une attraction de plus : il aurait fallu tout simplement de vendre des plantules à un prix dérisoire et d’indiquer à ce beau monde les régions pour les mettre en terre. D’autres y ont peut-être pensé et malheureusement, l’histoire s’est répétée encore une fois et l’idée n’a pas pu prendre chair.
Poursuivons en notant que le carnaval national de cette année a couté plus de 100 millions de gourdes selon les sources du gouvernement. Il y a de quoi pousser un sifflement d’admiration surtout que personne n’avance de chiffre sur le retour de cet investissement, une fois les tambours déposés. En passant, figurez-vous qu’une semaine avant le carnaval, on reportait pour une date ultérieure l’émission des chèques du mois de janvier pour les professeurs d’école nationale. Visiblement, les fonds étaient alloués à une autre activité de plus grande priorité.
Encore, le mois de février m’a permis de faire une comparaison intéressant entre le rendez-vous au Cap-Haïtien et un événement médiatisé à la même période mais dans un pays différent. Il s’agit du Super Bowl se déroulant une semaine avant notre carnaval, éclatant de splendeur dans une démonstration marketing et commercial sans pareil. Le Super Bowl est la finale du championnat de football américain où s’opposent les vainqueurs des deux conférences pour le titre de champion de la NFL (National Football League). C’est l’événement sportif ayant la plus grande audimat aux Etats-Unis. Le chiffre d’affaires du Super Bowl est autour des dizaines de milliards de dollars et les ménages avoisinent le même chiffre en consommation de nourritures. Quant aux publicités, 30 secondes de diffusion valent quatre millions de dollars et les campagnes publicitaires atteignent aisément les quatre milliards de dollars. Cette année, la chaine de télévision CBS a acheté les droits de transmission du match pour une coquette somme de six cents vingt-deux millions de dollars.
Ce sont là des chiffres qui laissent rêveurs. Beaucoup diront qu’Haïti ne peut pas être comparé avec les Etats-Unis sur ce point et je n’en disconviendrai pas. Cependant, vu leur similarité à deux niveaux (ils sont tous deux très attendus dans leurs pays respectifs et se sont déroulés autour de la même période), je me permets de les poser sur la même balance. De plus, il y tant de leçons à tirer du Super Bowl et elles concernent surtout les stratégies utilisées pour mettre en valeur l’événement. En premier lieu, on identifie la place accordée à l’aspect marketing. L’aspect commercial du carnaval en Haïti est très peu médiatisé ; on se contente de jouer les méringues des groupes musicaux à la radio ou de passer leurs vidéos à la télé. Quelques entreprises baissent le prix de leurs articles durant cette période ou font une publicité assez timide à la télé car leur budget est majoritairement réservé à la sponsorisation de quelques bandes à pieds et des groupes musicaux, à l’impression de maillots où à la construction de stands. L’aspect visuel des compagnies devient en quelque sorte limité en ce sens que très peu d’entre elles font référence à la vente de leurs produits et se contentent plutôt d’afficher leurs logos. Certes, la publicité est coûteuse mais elle peut créer une appréciation sensible de la consommation du produit et les entreprises diffusant leur publicité lors du Super Bowl se reposent entièrement sur cet aspect là.
Par ailleurs, on n’exige pas de droit pour la retransmission du carnaval. Un autre aspect qui, s’il est appliqué, aurait pour effet d’augmenter sa valeur. Et pour ne pas sombrer dans la monotonie, c’est-à-dire d’avoir un vide total (parfois, quand la distance entre les chars est grande), il faut une programmation stricte pour contrôler ces moments de temps mort. Le défilé carnavalesque est un show où l’originalité doit être au rendez-vous pour en faire un événement particulier. Les chars allégoriques tombent dans la facilité et n’attirent pas assez l’attention. La ville de Jacmel s’y prend si bien avec ses « chaloska », ses « lougawou », ses « échassiers », ses masques et tant d’autres déguisements qu’elle fait sa renommée autant sur la scène locale qu’à l’étranger. L’imagination ne nous manque donc pas, il suffit de savoir comment utiliser nos ressources pour les rendre vendables.
Enfin, tout autant que la gestion du carnaval sera faite exclusivement par l’état, sa rentabilité ne sera que compromise. L’histoire montre que les institutions publiques sous la tutelle exclusive de l’état tel que l’EDH, la Teleco et Moulin sur Mer (avant l’adhésion du secteur privé) demeuraient déficitaires. Si le carnaval persiste dans ce modèle, ce sera un amusement de piètre qualité à un prix couteux. Une institution au partenariat public-privé s’impose pour garantir la pleine réussite de cet événement musical. Vu que l’idée est de choisir une ville différente chaque année, les membres de la communauté hôte seront impliqués plus étroitement dans la programmation des trois jours gras et le potentiel artistique et culturel de chaque région sera mis en exergue à travers des activités connexes, pas nécessairement rattaché au carnaval. On parviendrait alors à une promotion de notre culture en général, à un meilleur contrôle des rentrées et à partir de là, on pourrait se targuer d’avoir des arguments forts pour attirer les touristes. Cette institution penserait aussi à créer des aménagements et des infrastructures propices au déroulement des festivités s’inscrivant dans le plan de développement touristique et urbain de la ville. De là, la nécessité de créer un processus de sélection des villes hôtes au moins deux ans à l’avance.
Pour résumer le tout, le carnaval doit être compris comme une industrie où on peut gagner beaucoup. On ne fait là que des propositions mais si on espère sincèrement vendre le carnaval, il faut poser la barre plus haute.