Le marché de locations de véhicules en crise

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Philippe Roy, propriétaire et directeur de Secom rent-a-car, dresse un portrait sombre du marché de locations de véhicules en Haïti. Selon lui, « le secteur est en crise ». Des propos suscitant une foule d’interrogations dont Monsieur Roy se fait un plaisir de répondre à travers son analyse de l’état des lieux du secteur. La crise s’annonce en fait à partir d’une occasion d’affaire créée par une catastrophe. Récapitulons les faits : le tremblement de terre en janvier 2010 attire l’attention de la communauté internationale où celle-ci s’empresse de porter secours au malheur de la nation haïtienne à travers l’aide étrangère fortement dirigée dans des circuits d’intérêts publics. Il s’ensuit que des organisations gouvernementales fleurissent dans le pays en un temps record et face à leurs besoins en déplacement, ces dernières s’adressent aux agences de locations de véhicules. Pour répondre à cette demande massive et subite, ces entreprises font de grands investissements pour agrandir leur flotte. Parallèlement, des particuliers et de nouvelles entreprises s’érigent en agence de locations de véhicules. Tout le monde a flairé l’opportunité et chacun veut se tailler une part du gâteau. L’enthousiasme de la reconstruction annoncé en Haïti faisait penser que la demande allait durer jusqu’à trois à dix ans et pourtant, elle s’est consumée comme un feu de paille. La belle histoire dure environ 1 an et demi ; les ONG partent aussi vite qu’elles étaient venues. De là apparait un gouffre sur le marché signifiant une baisse considérable des chiffres d’affaire des compagnies évoluant dans ce secteur. « Quand l’offre dépasse de loin la demande qui est le cas maintenant, ça fait encore plus de pression sur les prix et sur les revenus…on est train de servir un marché qui n’existe plus en fait, c’était un marché d’ONG » explique Philippe Roy.

Aujourd’hui, cinq grandes agences de locations et d’autres de moindre calibre se partagent un marché réduit composé de quelques ONG et du commerce privé. Le surplus de véhicules dort dans les garages ; « il n’est pas évident de se débarrasser d’un lot de véhicules qu’on avait acheté à cette époque la » souligne le directeur de Secom. La location de véhicules étant un besoin ponctuel, des touristes en voyage au pays seraient mieux susceptibles de remplacer la clientèle disparue mais encore, il faudrait que ces derniers se pressent en masse sur notre territoire. Des efforts sont faits en ce sens mais de telles projections ne prendront pas chair avant longtemps. A cause de l’irrégularité de la demande, Monsieur Roy fait savoir qu’il est impossible pour les maisons de locations d’établir des perspectives dans trois à six mois. « On est en pleine crise dans le marché de la location » martèle l’homme d’affaires. « On n’arrive pas encore à trouver une façon de rentabiliser correctement ce commerce ». A l’idée que les propriétaires d’agences réunis en une association permettraient au secteur d’aborder la crise différemment, il fait savoir que plusieurs démarches sans succès ont été menées dans le temps. La divergence d’opinion des patrons d’agences et la passiveté des interlocuteurs est l’obstacle immédiat à la matérialisation de cette idée. Par ailleurs, l’ambiguïté d’une politique d’inclusion expliquée par l’absence de normes au sein du secteur entrainerait une association représentative d’un échantillon du marché, les plus grandes agences précisément, et non du marché entier.

Parallèlement, les préoccupations de Monsieur Roy sur cette crise a fait ressortir les irrégularités et les contraintes liées au secteur. Entre autre, l’absence de règlementations sur la formation et les caractéristiques d’une agence de location conduit à des barrières à l’entrée poreuse dans le secteur ; en d’autres termes, aucune condition structurelle n’est exigé de la part des autorités concernées pour créer une maison de location et permet, de ce fait, à des individuels de constituer leur propre entreprise. Plusieurs secteurs d’activités souffrent de ce problème. L’état à tenter de les poser en quelques fois mais de manière maladroite ; par exemple, le MSPP avait pris en 2007 des mesures pour règlementer les pharmacies dans l’aire métropolitaine mais certaines mesures allaient à l’encontre de la loi de 1955 régissant les pharmacies. Avec un tour de force, le MSPP a pu établir certaines mesures mais n’empêche que la problématique des vendeurs ambulants de médicaments demeure aujourd’hui.

Cette situation fait ressortir d’un autre côté un nouvel aspect de ces préoccupations : la désuétude du cadre légal. D’après le droit civil, la responsabilité civile des accidents vont au propriétaire du véhicule, c’est-à-dire la maison de location, mais malgré que la responsabilité du véhicule soit transférée lors de la location, il en revient à la maison de couvrir les frais de l’accident. Les patrons des maisons de locations sont donc obligés de se soumettre à des lois du droit civil qui ne tiennent pas compte de la réalité actuelle.

Ensuite, il y a sans surprise les infrastructures routières qui exigent des couts d’entretien élevés pour les véhicules. En dernier lieu, l’absence de recours suite à un vol ou un cassage de véhicules met en cause un état de droit fragile et instable où l’entrepreneur n’a pas la garantie de la protection de son investissement.

Assez prudent dans ses investissements lors du gonflement de la bulle, M. Philippe Roy fait savoir que la SECOM n’est pas sorti autant affectée par la crise que ses principaux compétiteurs. L’entreprise a même diversifié ses services pour combler la faible demande de locations de voitures. Les chiffres d’affaires de tout le monde ont baissés et vu qu’il n’existe pas de plan directeur au niveau macroéconomique annonçant un regain d’activités, aucune perspective réjouissante ne se profile à l’horizon pour les compagnies de locations de véhicules.