« Blokus la rèd », « m’nan yon blokus, m’ap vini », « m’poko ap pran lari, blokus la twò red » : on ne passe pas un jour dans la capitale sans entendre prononcer une de ces phrases. A bien regarder, les embouteillages fréquents à Port-au-Prince ne devraient pas surprendre car la ville regroupe 65% des activités économiques du pays et près de 2 millions d’âmes dans son aire métropolitaine. Ces deux chiffres placés dans une équation donne le résultat que l’on observe tous aujourd’hui ; des files interminables à longueur de journée sur toute les artères. Autrefois, les bouchons de la zone métropolitaine avaient leurs heures, leurs zones et apparaissaient avec certaines circonstances mais de nos jours, les embouteillages sont devenus familiers dans la vie des Port-au-Princiens.
Le phénomène est pourtant mondial. Chez nous, on s’en plaint constamment et aucune solution réelle ne semble sortir de nos projets d’urbanisme mais dans les pays émergents et développés, les embouteillages sont au cœur des préoccupations des instances de l’Etat [private levels= »edition-specialisee,edition-standard »] car leurs conséquences affectent grandement le bien être social de la population. Avec l’émission de 200 000 nouvelles immatriculations par an, l’Algérie compte environ 6.4 millions de véhicules pour un réseau de 112 000 km ; une capacité d’accueil très en dessous des besoins en circulation. En Chine, un automobiliste pourrait se trouver pris au piège d’un énorme bouchon de 100 km de long. Des fois, il faut 4h pour traverser Mexico alors que les deux bouts de la ville ne dépassent pas 20 km, une distance allant à peu près de Saint-Marc à Liancourt. Selon une étude effectuée en juin 2010 par International Business Machines (IBM) dans 20 villes mondiales auprès de 8 192 automobilistes, 26% des parisiens interrogés considèrent que les embouteillages ont un impact négatif sur leur performance au travail : d’où la nécessité d’y accorder de l’attention.
Pour expliquer au départ les embouteillages, on est tenté de pointer du doigt les activités commerciales, scolaires ou occasionnelles ayant un impact sensible sur le trafic mais en réalité, ce sont de faux problèmes car à la base, il s’agit d’un phénomène de société, inhérents à l’activité humaine et résultant des mouvements de déplacement des individus dans leur habitat. Visualisons un instant une fourmilière où chaque fourmi, dépendant de son rôle, doit se déplacer pour remplir ses fonctions au sein de la colonie. Lorsque chacun doit remplir ses fonctions, il s’ensuit un flux des habitants de la colonie dans plusieurs directions ce qui va créer des files interminables dans les galeries et des arrêts à certaines intersections. Il en est de même pour les humains. D’un autre côté, les bouchons peuvent être favorisés par bien d’autres facteurs.
Une première explication est l’augmentation du parc automobile. De nombreux observateurs constatent que le nombre de véhicules en circulation est nettement plus élevé qu’il y a trois ans. Cette expansion est plus forte que les capacités d’accueil de nos infrastructures routières estimées en 2010 à 3 400 kilomètres dont 800 km asphaltées. Le trafic a alors ralenti d’année en année pour devenir l’enfer des automobilistes aujourd’hui. Certaines fois, à lire les messages postés sur les réseaux sociaux, on pourrait croire que la circulation dans la zone métropolitaine demeure impossible. Mis à part cela, le fait que la plupart des automobilistes se rendent dans les mêmes directions en même temps conduit à de fortes congestions ; un moment bien connu sous l’expression « heures de pointe ». Les scénarios quotidiens sur la route de Frères, de Bourdon et de Canapé Vert à des heures précises de la journée l’illustrent éloquemment.
Par ailleurs, il faut souligner que l’état de nos infrastructures routières ne rend pas plus facile la circulation. Les routes secondaires ne sont pas entretenues et de nouvelles percées n’ont pas été envisagées, ou du moins pas assez pour les automobilistes. Les croisements entre nos artères et les routes secondaires sont trop fréquents et provoquent assez souvent des embouteillages compliqués lorsque les automobilistes doivent s’engager les premiers au gré de leur volonté et sans respect des principes du code de la route.
Autre cause flagrante des embouteillages : les feux de signalisation. D’abord, en termes de minutage. Peut importe l’époque de l’année, peu importe les circonstances, le temps de circulation accordé aux vehicules reste le même. Si nous prenons par exemple un film de Mark Wahlberg, « Braquage à l’italienne », nous pouvons voir un système de monitoring de feux placé dans une centrale où l’on peut modifier les itinéraires et le minutage à volonté. Un dispositif pareil donne un meilleur contrôle du trafic selon la période dans la journée ou de l’année et fournit des données précises et justes sur la circulation automobile. Il arriverait à indiquer, par exemple, le manque à gagner d’un chauffeur de tap-tap emprisonné dans un embouteillage pendant trois à quatre heures au cours d’une journée. Pour poursuivre, en plus de plusieurs facteurs imprévisibles et occasionnels divers – checkpoint de police, véhicules en panne sur la chaussée, les rues inondées après une averse, des travaux sur la route – on peut ajouter comme causes favorisant les blocus, les agents de la circulation et enfin, la conduite agressive et négligente des chauffeurs.
A coté des trépignements d’impatience, des jurons et des crises d’énervements, les bouchons ont un effet certain sur notre humeur et notre productivité. En 2011, une étude américaine faite à la demande du fabricant de GPS, TomTom, révèle que le stress augmenterait de 8 à 60% chez les conducteurs coincés dans les blocus. Une autre enquête à évaluer à 70 milliards de dollars par an le cout économique des bouchons dans 75 grandes villes américaines. Pierre Desjardin, collaborateur à Cardisiac, un site spécialisé dans des enquêtes sur automobiles, nous apprend que le temps de travail perdu dans les embouteillages et la surconsommation de carburant représentent 3.88 milliards d’euros en France. Malheureusement chez nous, nous ne saurions faire ces estimations car nous ne possédons pas les outils de contrôle pour y arriver.
Cependant, un fait reste certain. Les embouteillages ont sur nous des répercussions écologiques ; pollution atmosphérique par la consommation supplémentaire de carburant, sociologiques ; un temps passé dans un embouteillage est improductif car il n’est ni considéré pour le travail, ni pour le loisir, économiques ; la plupart des pays reconnaissent perdre de l’argent chaque année en embouteillage mais de notre côté, vu l’absence de données, il est impossible d’avancer un chiffre.
Vu la façon dont les embouteillages s’insinuent pernicieusement dans nos déplacements, le Ministère des Travaux Publics et d’autres entités gouvernementales affichent un certain effort pour remédier à cette situation proche de l’intolérable. Bien entendu, le premier aspect à envisager est l’agrandissement et l’amélioration de notre réseau routier. La réfection des trottoirs un peu partout dans la zone métropolitaine, l’échangeur autoroutier bientôt en construction à l’intersection Delmas et Boulevard Toussaint Louverture, la rénovation et le goudronnage de quelques routes intérieures de Delmas, l’élargissement de Lalue – pour ne citer que ceux là – sont autant de projets réalisés pour repenser le trafic et permettre aux automobilistes de circuler plus rapidement (ou moins lentement, tout dépend de l’angle où on le voit) dans l’aire métropolitaine. Il s’agit là d’une première étape de décongestionnement des artères principales car on imagine tout de suite que ces aménagements routiers ne résoudront pas le phénomène des bouchons. Il y a encore une pléiade d’éléments à revoir si l’état haïtien veut parvenir à une plus grande fluidité du transport, surtout pour le transport public.
Par ailleurs, il faut aussi noter que la construction de routes ne devrait pas être entièrement du ressort de l’Etat. Le secteur privé s’engage aussi bien dans la construction d’autoroutes aux Etats-Unis, dans quelques pays d’Europe et en Asie. En plus de contribuer à l’aménagement du territoire et au développement régional, ces entreprises qui s’engagent dans la réalisation de projets routiers, coutant assez souvent des centaines de millions de dollars, sont certains d’avoir un retour intéressant sur leur investissement car les possibilités pour en tirer des bénéfices sont nombreux.
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