Le port où nous étions censés débarquer notre usine était complètement détruit. Les conséquences étaient tout simplement désastreuses: le navire transportant notre usine refusait d’appareiller à Port-au-Prince et nous proposait de débarquer 16,000 tonnes de matériel à Rio Haina en République Dominicaine, un défi logistique cauchemardesque qui nous vaudrait de transporter 16,000 tonnes de matériel, l’équivalent de 450 containers de 40 pieds sur les 250 kilomètres qui séparent Santo Domingo de Port-au-Prince- d’autant que le séisme avait laissé nos routes dans un état lamentable. Personne ne pouvait, par exemple, garantir que les ponts entre les deux villes allaient pouvoir supporter le poids des camions. Le risque était énorme. Si énorme en fait que personne ne pourrait le supporter.
Entre temps, le navire était à deux semaines d’appareiller et bientôt le compteur des frais de surestarie allait commencer à tourner, atteignant la coquette somme de $40,000 par jour.
Rapidement, nous avons enrôlé l’aide de la Marine de Guerre américaine qui avait pris contrôle du port de Port-au-Prince et utilisait une barge flottante en guise de jetée. Le Colonel en charge du port était assez aimable pour nous recevoir et entendre nos griefs. Il était un réserviste dans la Marine qui dans la vie de tous les jours était le Capitaine du Port de Houston. Il prit le temps de nous écouter, de comprendre la difficulté de notre situation et après une minutieuse planification, nous donna la garantie qu’il pouvait s’occuper de notre débarquement en toute sécurité.
Nous avons toute de suite fait rentrer un expert en assurances dont la mission était de nous confirmer que dans ces conditions de débarquement, notre police d’assurances serait toujours valide.
Pour résumer une très longue histoire, le 25 Février 2010, un mois et demi après le séisme, notre navire arrivait à Port-au-Prince. Pendant 72 heures d’affilée, avec très peu de repos et encore moins de sommeil, nous avons déchargé 16,000 tonnes de matériel et d’équipement. Grâce au Bon Dieu, nous l’avons fait sans que nous n’enregistrions aucun accident.
Et les travaux de construction ont commencé. Pendant les huit prochains mois nous nous sommes appliqués rigoureusement, nous avons travaillé diligemment et, doucement mais sûrement, notre projet a commencé à sortir de terre. Nous avons eu quelques écueils sur notre route, comme l’épidémie de choléra ou le cyclone Tomas par exemple.
Dans chacun des cas, nous avons pris les décisions qui s’imposaient pour permettre au projet d’avancer. Hyundai Heavy Industries voulait extirper son personnel d’Haïti et retarder la mise en service de l’usine, mais nous sommes arrivés à convaincre tous les expatriés de continuer à travailler. Nous avons pris toutes les actions nécessaires pour empêcher une propagation de choléra sur le site et nous sommes heureux de pouvoir dire qu’aucun cas n’y a été reporté.
Puis le 28 Novembre 2010, le pays organisait des élections présidentielles et sénatoriales. Des fraudes étaient rapportées sur tout le territoire et le 12 Décembre, l’enfer se déchaîna. Le peuple descendit dans les rues et pendant une semaine le pays entier fut fermé. Enfin, presque tout le pays. Nous avons maintenu notre site ouvert et avons trouvé les moyens d’approvisionner nos employés avec assez de nourriture et de matériaux de construction pour qu’ils continuent à travailler.
Et finalement le jour « j » est arrivé. Le 13 Janvier 2011, 9 petits mois après avoir débarqué notre navire, un an et un jour après le séisme qui avait détruit la cité et ses infrastructures, nous inaugurions notre usine.
Bien que nous ayons travaillé très dur pour monter cette affaire, nous savons que sans les bénédictions, la protection et la guidance du Bon Dieu, rien de cela n’aurait été possible. En réalité, avoir été capables de construire cette usine, à cette époque, avec autant de contraintes, dans les budgets et les temps impartis relève tout bonnement du miracle.
En choisissant de nous implanter dans une commune où à peine 6 ans auparavant, une guerre urbaine fratricide endeuillait les familles haïtiennes, nous avons conclu que le seul moyen de combattre la violence, était de construire, là où la pauvreté et l’exclusion sont les plus criardes, des infrastructures modernes qui permettent au pays de rentrer avantageusement en compétition avec ses voisins. Dans une communauté où seront construits les meilleurs moyens de production, viendront aussi l’emploi et par voie de conséquence la création de richesse pour tous.
Sans électricité fiable et compétitive, il n’y aura jamais de développement économique durable en Haïti; Sans développement économique durable, il n’y aura jamais d’espoir qu’en travaillant honnêtement et intelligemment, le citoyen moyen arrive à élever ses enfants dignement.
Haïti est aujourd’hui désespérément en quête de bonne nouvelle. Inaugurer notre usine exactement un an et un jour après la destruction de la cité aura été providentiel et nous aura permis de dire humblement et simplement au monde entier qu’Haïti était bel et bien vivante, qu’il y existait encore des hommes et des femmes intègres, laborieux, compétents, disciplinés, confiants dans l’avenir de leur pays, des hommes et des femmes qui ont l’ambition de le reconstruire, rêve par rêve, pierre par pierre, valeur morale par valeur morale ; des hommes et des femmes qui ont délibérément planté leur fanion à Cité Soleil et ont la volonté d’en faire le phare du développement économique d’Haïti.
Toute notre vie, nous avons tous beaucoup reçu de notre pays et nous sommes résolus à lui remettre tout ce que nous pouvons. En ce sens,
$1· 2.5% de nos revenus sont affectés à des œuvres sociales et plus de 400,000 dollars ont déjà été alloués à la Fondation E-Power. Par des alliances stratégiques avec d’autres institutions opérant dans la zone, nous allons faire jouer un effet de levier qui va nous permettre de multiplier nos ressources. Notre premier projet à Cité Soleil va être la construction sur 35,000m2 d’un centre d’activités pour les enfants de la zone après leurs heures d’écoles. Nous leur enseignerons le football, le basketball, l’athlétisme, la music, les arts plastiques et la danse dans un environnement judéo-chrétien solidement ancré.
$1· Après le séisme, nous avons temporairement arrêté nos travaux et avons utilisé les équipements lourds du chantier pour offrir une sépulture chrétienne décente à plus de 2500 victimes dont les corps avaient tout simplement été basculés sur un terrain vague à Titanyen.
$1· Depuis notre inauguration, nous avons investi un peu plus de $600,000 dans la formation de nos cadres, sans que nous ne les forcions à rester travailler chez nous, ne serait-ce qu’un moment, en retour. Nous sommes fiers d’annoncer que dès notre première année, nous avons été sevrés de notre assistance technique Coréenne et que nous faisons nous-mêmes l’entretien et l’opération de notre centrale.
$1· Nous mettons volontiers notre expérience au service de notre communauté et partageons avec tous, sans exclusion et sans exclusive, tous nos contacts financiers.
$1· En l’absence de standards environnementaux clairement établis par la législation haïtienne, nous avons délibérément opté de construire notre usine selon les normes américaines de protection de l’environnement (USEPA) et nous nous soumettons volontairement à des audits aléatoires pour jauger notre performance environnementale.
Fort de ce qui précède et malgré ce qu’écrit M. Duval, nous disons haut et fort qu’E-Power est un livre ouvert, un effort noble, un exemple à suivre.
Pour le Conseil d’Administration
Président : Daniel-Gérard Rouzier
Secrétaire: Pierre-Marie Boisson Charles Clermont
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